« H to H »
Un Solo de Biño Sauitzvy
Deuxième volet de la recherche sur « La mise en scène de la mythologie personnelle du performer » et premier sur des « concepts contemporains pour la construction scénique de la performance autobiographique ».H to H : remplacer les mots du titre de la chanson de David Bowie, «Ash to ash» pour la lettre qui garde le phonème en français. Des cendres aux cendres. Mourir pour renaître. Le sens premier est retenu, mais caché derrière le deuxième sens : H de l'hommage et H de l'héritage. Un hommage à PinaBausch, La Ribot, Susanne Linke, Kafka, Beckett, Deleuze, Cindy Sherman entre autres, comme des formateurs et porteurs d'un discours qui devient, par emprunt, celui du performer. Rendre hommage à ceux qui ont fait de leurs discours une traduction du « leur moi » personnel, du quels je suis l'héritier.On n'emprunte que ce qui est déjà « empreinte » en nous.
La traduction par un corps masculin féminin dans son écart invente ici une sorte de figure qu'on pourrait appeler « transgenre », quelqu'un qui cherche un devenir à travers l'agencement de son individualité et ses multiplicités. Si c'est tellement difficile, être « comme » tout le monde, c'est qu'il y un affaire de devenir.
Devenir, c'est, à partir des formes qu'on a, du sujet qu'on est, des organes qu'on possède ou des fonctions qu'on remplit, extraire des particules, entre lesquelles on instaure des rapports de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur, les plus proches de ce qu'on est en train de devenir, et par lesquelson devient. C'est le processus du désir, dans une zone de voisinage ou de co-présence. Il invoque une zone objective d'indétermination ou d'incertitude, « quelque chose de commun ou d'indiscernable », un voisinage « qui fait qu'il est impossible de dire où passe la frontière de l'animal et de l'humain ».
Trouver d'autres devenirs et d'autres possibilités contemporaines hors du corps programmé.
Depuis toujours, les rites de travestissement, et aujourd'hui le travesti, à travers ses devenirs, appartiennent à une machine de guerre spécifique. Ils déclenchent des devenirs qui se communiquent dans des enchaînements et déchaînements. L’art et la sexualité sont des productions de mille sexes, qui sont autant de devenirs incontrôlables. Ils passent par le devenir-femme de l'homme et le devenir-animal de l'humain.
Cet agencement ne comporte pas une infra-structure causale. Il comporte une « ligne abstraite » de causalité spécifique ou créatrice, une ligne de fuite, de déterritorialisation, qui ne peut s'effectuer qu'en rapport avec des causalités générales ou d'une autre nature, mais qui ne s'explique pas du toutpar elles.
Le mouvement cesse d'être le procédé d'une déterritorialisation toujours relative, pour devenir le processus de la déterritorialisation absolue : que le mouvement de l'infini ne peut se faire que par affect, passion, amour, mais sans référence à une « méditation » quelconque ; et que ce mouvementcomme tel échappe à la perception médiatrice, puisqu'il est déjà effectué à tout moment, et que le danseur, ou l'amant, se retrouve déjà « debout en marche », à la seconde même où il retombe, et même à l'instant où il saute.
Sauter d'un agencement à autre en multipliant les « plans de vie » dans un seul plan qui comprend ses vides et ses ratés, ses sauts, ses tremblements de terre et ses pestes. Un plan qui n'est pas principe d'organisation, mais moyen de transport. Aucune forme ne se développe entièrement, aucun sujet nese forme complètement, mais des affects se déplacent, des devenirs se catapultent et font bloc.
La question est d'abord celle du corps - le corps qu'on nous vole pour fabriquerdes organismes opposables. Une expérimentation contre toute interprétation, et où le silence comme repos sonore marque aussi bien l'état absolu du mouvement.
« C'est toujours un Autre qui parle, puisque les mots ne m'ont pas attendu etqu'il n'y a pas de langue qu'étrangère. Epuisé depuis longtemps sans qu'onle sache, sans qu'il le sache. L'Autre et moi, sont le même personnage, la même langue étrangère, morte. Des limites immanentes qui ne cessent de se déplacer, hiatus, trous ou déchiru res dont on ne se rendrait pas compte, les attribuant à la simple fatigue, s'ils ne grandissaient pas tout d'un coup de manière à accueillir quelque chose qui vient du dehors ou d'ailleurs. Une image qui arrive mal à se dégager d'une image souvenir. La cruauté des voix ne cesse de nous transpercer de souvenirs insupportables, d'histoires absurdes ou de compagnies indésirables. »DELEUZE
« Il faudrait arriver à parler d'eux, mais comment y arriver sans s'introduire soi même dans la série, sans « prolonger » leurs voix, sans repasser par eux, sans être tour à tour Murphy, Molloy, Malone, Watt… etc., et retomber sur l'inépuisable Mahood ? Ou alors il faudrait que j'arrive à moi, non pas comme à un terme de la série, mais comme à sa limite, moi l'épuisé, l'innommable, moi tout seul assis dans le noir, devenu Worm, « l'anti-Mahood », dénué de toute voix, si bien que je ne pourrais parler de moi qu'avec la voix de Mahood et ne pourrais être Worm qu'en devenant Mahood encore. Combien sommes-nous finalement ? Et qui parle en ce moment ? Et à qui ? Et de quoi ? Plus d'histoire, depuis longtemps.» BECKETT
La performance ici se fait à partir de l'utilisation de la mythologiepersonnelle du performer, ainsi que les influences sur son processuspratique de création. Ces références ont été à l'origine de son gestecréatif. Elles ont ouvert la possibilité de regarder à l'intérieur de lui-mêmeles chocs qui ont créé des itinéraires pour ensuite les accepteren tant que matériau pour sa propre création artistique. Les créaturesfragmentées, coupées, morcelées, obsédées, condamnées à existerdans un monde extérieur hostile et dangereux chez Beckett, parexemple. Ces êtres inhumains dépourvus du droit d'action ouconscients de l'inutilité de la même, confinés et livrés dans un mondeintérieur de la pensée et de la rêverie éveillée. L'action de la penséecomme la seule issue et possibilité d'existence. La blessure qui créedes métamorphoses et la souffrance personnelle qui peut devenir unacte créatif transformateur.
Le travesti devient la création d'un personnage auto-fictif, d'unefiction de « moi-même », un personnage-reflet qui est à l'origineambigu et entre deux mondes, le masculin et le féminin. Il devientainsi un porteur de drame et de conflit et crée son propre moded'existence dehors les normes et catégorisations de la société. C'estl'autobiographie qui prend sa forme selon son propre processus à lafois empirique (work in process) d'une esthétique propre et recueilledes images du passé.
A partir de l'expérience des états de trauma comme source dela création, on s'approche du concept qu'il n'y aurait pas de différenceentre l'artiste et sa vie. L'expérience de la mort (du trauma) éveillela conscience et devient ainsi la « contre-image » d'une consciencevivante. Celle-ci ne peut être atteinte qu'à travers des processus demouvement et des métamorphoses qui eux-mêmes sont de processusde revitalisation. Cela exige une perception du travail en tant quework in progress et un regard sur l'art en tant que geste ou actionartistique. Cet accent sur le processus et sur l'action met en reliefla personne qui joue dans un temps et un espace précis.
Pour « agir » au lieu de représenter, le performer ici utilise son propre corps comme véhicule de son message. Le corps de l'artiste passe alors à la condition d'œuvre d'art. Dans ce contexte il peut être porteur d'autres contenus ou formes venus d'autres disciplines artistiques. Cette contamination des disciplinesartistiques amène le performer à de véritables processusd'auto investigation. L'investigation du comportement et des gestes dela société, plus celle de l'espace intermédiaire entre l'art d'un artisteet sa vie privée, s'est convertie au contenu même d'un grand ensembled'œuvre auquel on fait référence comme « autobiographique ».
La performance, compte tenu de sa propre nature, échappe à unedéfinition exacte. Elle dépasse la simple définition qui la désignecomme un art vivant fait par les artistes. Quelque définition plus strictenierait de façon immédiate la possibilité de la propre performance.
Mise en scène, création et interprétation_ Biño Sauitzvy
Participation_ Thomas Laroppe
Décor et costume_ Biño Sauitzvy et Lika Guillemot
Collaboration artistique_ Lika Guillemot
Assistance chorégraphique_ Luciana Dariano
Production_ Collectif des yeux
Lumière_ Claudia de Bem
Régie et technique_ Zé Ibaños
Photo_ Lika Guillemot
Graphisme_ Sabah el Jabli
Durée_ 60min
Soutien_ FSDIE - Université Paris VIII
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