mercredi 26 décembre 2007

En trois temps : Attaches-peaux / H to H / Deux-Meurent







H to H / Photo Lika
Attachex-Peaux / Photo Lika
Deux-Meurent / Photo Lika
Attache-Peaux

Les attachements successifs sont-ils visibles dans notre peau ? Peut-on atteindre ses marques en la retournant ? Cette volonté de retournement semble habiter l’espace de création. Vouloir tendre à un sens dedans dehors, c’est viser l’infini où le corps dépasse de sa finitude. Le corps libéré de sa forme, n’est plus fixé par les limites de la peau. Il devient ainsi une créature ambiguë, oscillant entre la poupée et l’homme, l’humain et l’animal, le sujet et l’objet. Il peut être examiné, dans un temps qui semble ralenti. En effet, le temps du dedans paraît à contre temps par rapport au temps du dehors. Il a une durée qui perdure, où la mémoire reste, c’est la mémoire du corps. Mais comment la toucher ? Comment tenter le retournement du corps ?
Tout a commencé par un trou. Attache-Peaux tente d’approcher ce trou, ce creuset de la création. Nous sommes deux ; nous avons deux corps : un masculin, un féminin. Un performer et une plasticienne. Sommes-nous deux corps pouvant créer une peau commune d’un même dialogue ? Les évènements ne sont pas envisageables avant de les vivre. Lorsque nous nous engageons dans cette tentative, nous ne savons ce qu’il adviendra. Le corps de l’autre est étranger. Nous sommes étrangers l’un pour l’autre. Nous tentons la rencontre.
Elle commence le 22 décembre 2006, où deux actions débutent : le tricotage de la Cabane[1], et la représentation de H to H[2]. Les images du film sont récoltées à partir de cette date, sous forme de vidéo, de photographies et d’enregistrements de nos voix. De ce trou sort des peaux, une multitude de collants-peaux, car le collant est bien une seconde peau. Lui qui a accueilli un corps garde sa trace ; il a une mémoire de la peau portée, ou qui a porté. Une fois enlevés, les collants ressemblent à une peau retirée du reste du corps. Ils ont en commun le rétrécissement : en effet, la peau est élastique mais un morceau de peau détaché de l’ensemble, se rétrécit considérablement, comme le collant.
Ainsi les collants seraient-ils nos peaux usées, imprégnées de mémoire dont nous voudrions nous débarrasser ? Non, mais en les enlevant nous tentons de les comprendre. Savoir pourquoi à cet endroit, un évènement a marqué la peau, se transformant en plaie. Nous essayons de trouver les plaies qui ne sont pas cicatrisées. En effet, certaines plaies internes ne peuvent être soignées, car elles ne sont pas visibles ; il y a des plaies qui se referment d’elles-mêmes, mais d’autres ont besoin d’une couture, d’un point de suture, sans quoi elles re-saignent continuellement. Attache-peaux tente cette couture, par une fouille des plaies à soigner, car localiser les plaies est déjà un pas vers la guérison.
Nos deux corps semblent former une peau commune. Nous n’avons pas le même corps, pas le même sexe, pas la même histoire, mais nous dialoguons. C’est peut être ces dissemblances entre nos corps qui permettent cette peau, qui n’est pas une fusion, mais un échange, un dialogue à travers des gestes et des paroles. Lorsque nos deux corps sont en scène, dans un même espace, ils apparaissent en mouvements filmés (vidéos), sans parole : les corps se déplacent, dans un temps modifié, manipulé. La durée est en effet accélérée et les corps semblent devenir des marionnettes. Ils sont exposés, mis en péril dans le dehors. Le langage, les mots réapparaissent lorsque les images se succèdent sous forme photographiques : elles font renaître un mouvement saccadé. Le seul temps réel dans le film est celui de la parole. Nous discutons tous deux, sur les préoccupations artistiques qui nous rassemblent et nous dissemblent : la peau, le corps, le rouge, le tricot, la chute, etc. Ces moments révèlent des discussions intimes, protégées, dans le dedans. Le spectateur est celui qui peut donner un sens.
Le collants se déplient, se plient, se re-déplient, se re-plient pour tenter de comprendre cet attache-peaux. Mais où se trouve l’attache ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’attache ? Nous aurions du prendre des porte-jarretelles, cela aurait simplifié la tâche. Mais elle aurait été faussée, car d’attache physique, il n’existe pas. L’attache c’est nous. Elle est nous, elle est en nous. Nous attachons nos propres liens. Nous pouvons déplier notre corps entièrement, point d’attache nous trouverons. Seulement des organes dépliés dans l’espace. Notre cerveau peut être déplié lui aussi, retourné, observé, exposé, rien de ses attachements ne seront visibles. Ils sont comme ancrés en nous, dans les interstices invisibles des pores de la peau, du souffle de la vie. Notre vie est cet attache-peaux.


H to H

Occuper le vide. Le vide du corps ? Mais le vide ne contient rien, ni objet, ni matière. Ainsi le corps serait vide ? Impossible car il est plein. Tout est plié, replié sur lui-même. Mais si ce vide existe dans le corps comment y accéder ?

Un corps tombe. Je ne l’avais remarqué. Il était assis dans un coin sur une valise. Je le regarde, le filme. Il, est un homme, vêtu d’un costume noir, d’une chemise blanche et de grosses chaussures bruyantes. Il rechute. Je m’en aperçois alors qu’il paraît chuter en lui-même. Tout est lié. Le dedans et le dehors montre le même visage. Je crois tout d’abord qu’il tente de se débattre dans une lutte avec lui-même, un corps à corps. Mais je comprends ensuite, qu’il se laisse chuter pour comprendre sa chute. Il pense son corps pensant. Il y a une réverbération de ce corps tombant qui est bruyant, avec ses lourdes chaussures. Il s’effraie de son écho, mais tente tout de même de s’approcher de l’abyme inquiétante de son corps.

Puis, tout s’accélère. Il prend sa valise et l’installe près de lui. Une musique s’éveille et une femme mélancolique se met à chanter. Il commence à enlever « ses peaux », où couches qui protégeaient son corps. Il y en a beaucoup. Il enlève sa veste, ses collants, ses caleçons, etc. Il passe de l’habit masculin au féminin. Il se dénude ne laissant qu’un vêtement intime. Tout est contenu dans ce corps-souvenir, corps-mémoire. Il tente la traverser par le trou en se servant de prothèses (ballons de baudruche remplis d’air, de liquide rouge) sur son corps mis à nu. Les « pans » successifs, au nombre de quatre amènent le rouge à la surface, l’envahit, le submerge. Ils sont violents, et apparaissent par bribes rapides. Un temps interrompt, c’est le noir du film. L’homme réapparaît affaibli, fatigué. Alors, il décide de soigner, de panser ses plaies. Il prend de la viande congelée, très froide. On entend le bruit du scotch qui enroule son corps comme un objet. Il panse ses pensées, il recouvre les failles corporelles. Puis, il tente de se ré habiller, comme si rien ne c’était passé. A ce moment tout paraît revenir dans le bon ordre ; mais les habits voltigent autour de lui, comme s’ils ne voulaient revenir. Il repart s’asseoir sur sa valise, la tête bandée, le corps meurtri. Il est épuisé. Il attend la prochaine fois. Une phrase de Samuel Beckett semble inspirée cet éternel recommencement :
« Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. »



Deux Meurent


Le jeu permet en effet, d’aborder « des univers grinçants sans risquer de perdre les dents ». Il repousse les limites, en créant de nouvelles règles, de nouveaux enjeux à chaque création. Nous jouons à deux, pour la troisième fois. Jouer à deux permet de trouver davantage de jeux, que nous élaborons au fur et à mesure. A la suite d’Attache-peaux nous avons voulu continuer à trouver ensemble. Alors, Lika propose à Biño de jouer à partir de la Cabane. Elle était prête pour l’assemblage, mais je ne savais encore comment l’habiter.
Nous nous donnons rendez vous à deux dates précises : celles du 4 et du 11 mai, qui correspondent à nos anniversaires respectifs.[3] Un mètre est nécessaire pour mesurer les 1,73m2 de la cabane. Nous découvrons alors que nous mesurons la même taille. C’est étonnant et cette nouvelle règle va jouer dans le processus de création. Nous prénons en compte la loi de l’homme vitruvien de Léonard de Vinci.
Notre taille et l’envergure de nos bras ont une mesure identique. Notre espace vitale semble ainsi tenir dans un carré (position debout ou couchée). Nous jouons avec la mesure. Un espace blanc nous attend ; la mesure est au milieu, séparant cet espace en deux. Tout est au sol. Nous passons chacun notre tour puisque le carré est celui d’un corps, et non les deux ensemble.
Lors de la deuxième séance, nous disposons les carrés de tricot. La mesure sert à délimiter les bords. Quatre carrés aux quatre coins de l’espace. La Cabane est en train de naître. Comme un puzzle sans image, nous plaçons les carrés dans l’espace défini. Ils sont de tailles différentes, ainsi le jeu est de constituer un carré à partir de fragments carrés. Nous y arrivons. Nous sortons le fil, les aiguilles et assemblons les fragments. A ce moment, nous ne savons pas qui va habiter cet espace en fabrication. La structure de la Cabane est construite mais il faut nous séparer.
Une troisième séance est nécessaire. Il est alors question que ni lui, ni moi, n’habitons cette demeure. Une troisième voie prend place. Nous voulons créer une héroïne entre univers enfantin et féminin, entre conte de fée et univers mystérieux tels ceux du réalisateur David Lynch. Nous amenons chacun des objets qui correspondent à nos univers. Mais comment arriver à cette héroïne au visage inconnu ? Un autre jeu se met en place. Nous plaçons chacun notre tour un objet à un endroit précis sur l’assemblage rouge. Lorsque tous ont été déposés, nous regardons attentivement le tableau puis défaisons l’ensemble. Il prend mes objets et je prends les siens. Arrive la mémoire visuelle. Où avais-tu placé l’objet ? A travers ce jeu, nous inversons nos corps, tentons de comprendre la spatialité du corps de l’autre. Pourquoi, avait-il placé l’objet à cet endroit et non à un autre ? Le corps de l’héroïne apparaît à travers ses objets futurs. Elle prend corps à cet instant, comme s’il ne manquait plus que la chair.
L’héroïne va ainsi être l’incarnation de nos mémoires respectives, à travers laquelle nos « demeures » vont prendre corps. Au sortir de la poche aura-t-elle une survie ? Etre cousu, rassemblé de nos deux failles seras-tu un pansement de nos deux peaux ouvertes au vent ? Tu sembles en tout cas être un transfert-abri de nos peaux trouées. Ainsi, l’abri serait dans l’autre, autre créé à travers le jeu. Cet autre qui est le double de moi au moment de la création selon Julia Kristeva, serait donc le double de nous. Elle serait double, être féminin et masculin, elle aurait les deux sexes. Elle serait complète, recousue selon le mythe du corps coupé de Platon. Une nouvelle voie semble s’ouvrir à partir de cette rencontre en trois temps, une boucle semble bouclée laissant place à un nouveau cycle.



Deux Meurent
Réalisation et Montage : Lika (Aurélie Guillemot)
Performer : Biño Sauitzvy
Images et Photos : Lika
Durée : 10 min.
France, 2007


Attache-Peaux
Réalisation et Montage : Lika (Aurélie Guillemot)
Performer : Biño Sauitzvy
Images et Photos : Lika
Collaboration suivie par : Geneviève Schwoebel
Durée : 10 min
France, 2007


H to H
Réalisation et Montage : Lika (Aurélie Guillemot)
Création et Performance : Biño Sauitzvy
Images : Lika et Zé Ibaños
Assistance Chorégraphique : Luciana Dariano
Durée : 5 min
France, 2007


Textes écrit par Lika, 2007.

[1] Performance de Lika, plasticienne. Pendant tout l’hiver 2007 elle a tricoté un carré rouge par jour et s’est pris en photo tous les jours. A la fin de la saison, elle les a rassemblé (les carrés étiquetés), et cela a donné l’origine à une cabane qui faisait sa taille. L’œuvre fait partie de son exposition « Matrimoine ».
[2] Performance de Biño Sauitzvy, performer. Deuxième volet sur la Mise en Scène de la Mythologie personnelle du performer et premier des concepts contemporains pour la construction de la performance autobiographique. Performance danse-théâtre présentée en France, Pologne et au Brésil, 2007.
[3] Le jour de notre naissance est particulier. On semble attendre quelque chose qui ressemble à nos souvenirs d’enfance, où tout était prévu. Au lieu d’attendre le miracle, nous avons décidé de le créer.

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